LE BRUIT DES DONNEURS DE LEÇON

Depuis quelques temps, je me fais reprendre pour certains de mes posts et photos par des camarades de lutte ou autres connaissances de mon bord concernant la lutte contre le pass-sanitaire. Me faisant remettre au pas comme une gamine perdue devenue complètement ignare de l’Histoire qui venait de passer dans le côté obscur de la force. Je vais donc préciser certaines choses.

Être contre ce pass et sa continuité de la casse de nos droits, de nos libertés, du droit du travail et ce, dès le discours de Macron qui a été capable d’annoncer sa mise en place et dans la même foulée la mise en route de la réforme de l’assurance chômage et le retour de celle des retraites m’est apparu plus que légitime. À mes yeux, nous aurions dû être des millions dans la rue. Dès le premier confinement d’ailleurs où à Saint-Étienne, nous avons été bien peu face à la répression. Ce n’était malheureusement pas le cas.

C’est qu’il y a des fachos. Ça rappelle, bien sûr, le début du mouvement des gilets jaunes dans lequel j’ai fais mes premières armes en tant que lutteuse et ai appris une façon de faire. Ce mouvement, déjà bien désavoué par les syndicats et une bonne part de ma classe sociale, soit la classe moyenne éduquée.

Au fil des mois, comme tant, j’ai été gazée, insultée, menacée, coursée et avec l’arrivée du covid, contrôlée et verbalisée. Me concernant, cinq verbalisations, un interrogatoire, deux comparutions pour trois d’entre elles. Jugée coupable pour toutes même avec témoignages et photo à l’appui. Coupable, la parole d’une civile ne vaut strictement rien face à celle d’un policier. Ça m’aura coûté pas loin de 800 euros et de grosses montées de peur et d’angoisse. Merci les ami.e.s et ma sœur pour l’aide financière et le soutien indéfectible. Je n’ai jamais été arrêtée mais aujourd’hui, à mon échelle, je connais très bien la répression, jusqu’à il n’y pas si longtemps où les fdo m’ont remis un coup de pression. Très efficace.

Alors me coltiner ces rappels à l’ordre idéologique de « ma mouvance politique », au delà d’être vexant, blessant et usant, est particulièrement déplacé. Qu’on m’attaque sous des prétextes de vocabulaire, de choix d’image ou de prise de position comme si je changeais de bord, c’est s’attaquer à mon intelligence et à mon intégrité. Je suis GJ, féministe, anti-raciste, pro-LGBTQ+, écolo, pro-handicap, bref, j’aligne toutes les étiquettes, ici, sur FB, mais surtout sur le terrain où après trois ans, j’ai gagné mes galons et n’ai strictement plus rien à prouver.

Comme déjà dit, la première des solidarités dans la lutte est de ne pas prendre l’autre pour un.e con.ne. S’il y a bien une chose que j’ai apprise à hauteur de discussions et d’engueulades, c’est que toutes et tous, nous réfléchissons, nous remettons en question et avançons. Comme le dit Todd, l’intelligence est ici-bas. Ça me navre d’autant plus que du côté de la lutte traditionnelle, ce n’est plus cas. La forme de la lutte a changé. N’en déplaise aux syndiqués et encartés, leurs instances ont fait défection, battues à plate couture par des décennies de casse idéologique pour ne porter que le capitalisme, libéralisme, néo-libéralisme et ont laissé sur nombre de thématiques le champ libre à la droite et l’extrême-droite qui n’attendaient que ça.

La pandémie a accéléré tout cela et a été l’opportunité rêvée de mettre au pas la population et d’achever nos services publics, nos solidarités sociales et ce, sans personne en face si ce n’est quelques milliers dont moi pour finir par entendre le bruit des bottes plus qu’il n’en faut. La stratégie du choc marche à plein régime, encore, toujours. Et c’est navrant, navrant de pusillanimité, de haine, de mépris de classe et de chasse aux sorcières même en étant du même bord. Je fais partie de cette génération qui n’a pas connu de guerre sur son territoire. La seconde guerre mondiale est devenue un point Godwin, un fantasme. A vingt ans, j’étais persuadée que si une telle horreur se reproduisait, je serai du bon côté, en vieillissant, j’ai juste espéré ne pas être du mauvais côté. Aujourd’hui, je dépasse mes espérances. Sans forfanterie, j’aurai adoré que cette question demeure sans réponse. Que la gestion de ce virus et la peur engendrée ait pu à ce point nous faire perdre pied et nous empêcher de débattre me sidère toujours. Pourtant, dès le premier confinement, que des personnes se fassent arrêter pour leur banderole « Macronavirus » à leur fenêtre aurait dû mettre le feu aux poudres. À mes yeux, c’est le moment où nous avons cessé d’être dans un état autoritaire pour rentrer en dictature. Où nous avons arrêté de glisser vers le fascisme pour se le coltiner pour de bon. Je renvoie à la fameuse citation de Françoise Giroud. Je sens encore certain.e.s frémir au mot dictature. Je suis née sous une dictature, sous celle de Park Chung-Hee en Corée du Sud. Une dictature considérée comme moderne par rapport à celle de son prédécesseur et celle actuelle de la Corée du Nord à laquelle on renvoie toujours. On y tuait et torturait presque plus. Bien sûr, toutes les voix dissidentes étaient arrêtées mais les peines de prison n’étaient « que de quelques années » au maximum. La propagande faisait fureur sans censure puisque tout était publié mais confisqué, et puis il y avait une nouvelle arme, les bombes lacrymogène. Alors me retrouver mise au pilori me laisse particulièrement en colère tant ça nourrit la propagande du barrage des castors, tant ça casse les pattes et tue la lutte. Et encore plus qu’au tribunal où j’ai finit par dire au juge d’où je venais et qu’être face à lui pour avoir usé de mon droit de manifester me laissait « juste » un goût amer.

Je continuerai la lutte, à ma façon, en prenant ce micro encore et encore pour redresser la barre face à des paroles complètement hors-sol ou persuadées que la police et le droit sont de notre côté. Pour dire la casse de tous nos droits conquis pour dire à celleux qui découvrent la ségrégation, la discrimination et l’atteinte à leurs corps que beaucoup avant elleux ont connus ça et qu’iels s’en rappellent pour toutes les luttes. Je fais le job, comme je peux, avec mes petits moyens qui se résument à marcher, à avoir une voix qui porte et une facilité à parler en public. J’en ai payé et en paye le prix fort. Alors les donneurs de leçons, laissez-moi ce que je vous laisse, la solidarité de ne pas vous prendre pour des con.ne.s.