Interview de Madame Isabelle Bouligaud

Bonjour Isabelle, tu es infirmière pédopsychiatre au CHU de Bellevue à Saint Etienne, peux-tu te présenter ?

 

Bonjour Fabrice et Philippe, oui, Je suis infirmière depuis 21 ans en psychiatrie et actuellement en pédopsychiatrie. Passionnée par cette spécialité, j’estime avoir aujourd’hui une assez bonne connaissance des spécificités de la prise en charge des patients souffrant de troubles psychologiques/psychiatriques.

 

Au sein de l’hôpital, tu fais partie d’un collectif « La Psy Cause », peux-tu m’en parler ?

 

Depuis 10 ans face aux difficultés croissantes concernant la dégradation des soins dans les services de psychiatrie et la non considération institutionnelle, un grand nombre de personnels a ressenti la necéssité de se réunir et d’exprimer haut et fort la perte de sens dans le travail qu’ils effectuent.De là, des assemblées générales ont été organisées, des actions communes, des revendications claires, une identité avec des valeurs partagées, le désir d’une psychiatrie humaniste. Le collectif La Psy Cause était né, et il entendait bien se faire connaître et exprimer son point de vue et surtout sa volonté de ne plus cautionner les soins tels qu’ils sont actuellement.
Comme de nombreuses personnes, j’ai été choqué, il y a quelques mois, d’apprendre, par les médias, les conditions indignes dans laquelle se trouvaient les patients du CHU de Saint Etienne (des patients attachés sur des brancards pendant plusieurs jours, des chambres d’isolement remplies…). Comment cela a-t-il pu arriver et où en est la situation aujourd’hui ?
Le constat du rapport du CGLPL (Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté) a mis en lumière des conditions d’accueil indignes au CHU. Ces difficultés d’encombrement dans le service des urgences sont récurrentes et ont été maintes fois décriées par le personnel qui déplore depuis longtemps le fait de prendre en charge les patients de cette façon.Faute de moyens et parce qu’il semblait qu’aucune autre solution n’était envisageable la situation critique dure depuis des années mais n’a jamais été acceptée comme une pratique satisfaisante.
Toute la France pâtit du plan d’austérité aujourd’hui appelé le « Plan pour l’efficience et la performance du système de santé (PEPSS) » entrepris par l’État mais qu’est-ce qui caractérise les problèmes du CHU de Saint Etienne ?
Nous enchaînons depuis une dizaine d’années des plans d’austérité, les mots d’ordre étant/ économie et rentabilité. On devient obsédé par le taux de marge qui est conditionné aux versements financiers de L’Agence Régionale de Santé. Pour que l’hôpital fonctionne (renouvellement de matériel, personnel, coûts…)il faut réaliser un bénéfice de 3%. Sachant que l’hôpital a contracté il y a des années des emprunts dit toxiques qu’il doit rembourser jusqu’à hauteur de 5%, il faudrait annuellement faire un bénéfice de 8% juste pour fonctionner en l’état.
Appliquer des logiques comptables au sein des hôpitaux c’est difficile à imaginer. C’est pourtant le cas ! Peux-tu en parler ?
Appliquer les logiques comptables c’est faire des choix en pensant à la rentabilité, regrouper des services pour diminuer le personnel, valoriser des activités plus lucratives au détriment de celles qui ne rapportent rien. Rentrer dans une logique de commande de l’ARS pour quémander des crédits selon ce que l’Etat a choisi de privilégier dans sa politique sanitaire en faisant fi de la globalité des missions hospitalières de service public.

Depuis quelques temps, le CHU de Saint Etienne est réorganisé. Quelles sont les conséquences qui en découlent ?

 

L’idée actuelle est de dire que nous ne manquons pas de moyens mais que nous souffririons d’une mauvaise organisation.
Une jeune direction dans l’établissement fait l’injonction d’une réorganisation massive.
On change les missions de certains services
On regroupe brutalement des services
On demande de l’abattage de patients
On fait des propositions architecturales qui poussent des services sur les parkings.
Le benchmark national montre que nous serions encore trop nombreux en comparaison d’autres hôpitaux. Il est vrai qu’il y a toujours plus profond que le fond!
Le constat est amer, toutes ces réorganisations  » poudre aux yeux » ne donnent pas plus de sens aux soins, pas plus de résultats apparemment et les conditions de travail ainsi que la qualité des soins demeurent toujours aussi dégradées.
L’État est-il le seul responsable de la situation dans laquelle se trouvent les hôpitaux aujourd’hui? Monsieur Perdriau, maire de Saint Etienne mais aussi président de Saint Etienne Métropole, valide-t-il cette logique comptable au sein du CHU ?
A mon niveau je ne sais pas quel est le positionnement de Mr Perdriau président du conseil de surveillance du CHU ( qui est le premier employeur du département), mais il serait intéressant effectivement de pouvoir l’interpeller à ce sujet.
Selon l’ensemble du personnel du CHU de Saint Etienne, que faudrait-il mettre en œuvre pour changer cette situation ?
Après toute cette politique d’économies drastiques, il est bien évident que des moyens financiers et humains permettraient à l’hôpital de redonner du souffle et de la vie dans les services. Un personnel moins pressurisé et moins maltraité retrouverait la force de penser des soins où l’humain serait au cœur et non pas l’argent.
La municipalité est-elle en mesure d’investir dans les dispositifs médico-sociaux ?
Le constat est clair que l’hôpital est surchargé par des patients qui viennent faute de structures adaptées sur l’extérieur, de moins en moins de structures medico-sociales, des délais d’attente importants dans de nombreuses spécialités médicales en libéral, une pénurie de médecins généralistes.
Une prise en considération de la politique médico-social dans sa globalité semble nécessaire mais cela ne semble pas être le choix actuellement de la municipalité.
Un grand merci Isabelle d’avoir pris le temps de répondre à mes questions et bon courage…
Merci à vous Philippe et Fabrice