CRACK CAPITALISM !!!

CRACK CAPITALISM : 33 THÈSES CONTRE LE CAPITAL

de John Holloway

Editions Libertalia, 2012.

John Holloway souligne dans cet ouvrage les brèches (cracks) qui existent dans le système actuel.

A partir d’exemples multiples de luttes petites ou grandes, il met en évidence la naissance d’un nouveau paradigme du « Faire en commun »  fondé en « dignité humaine ». Sans présenter de solution unifié, ce livre appelle ,au contraire, à l’échange et inspire une nouvelle sensibilité face au monde.

PRÉSENTATION DE L’AUTEUR

John Holloway est un chercheur en sciences sociales (sciences politiques, sociologie) d’origine irlandaise qui enseigne à l’université de Puebla (Mexique). Il contribue régulièrement à la revue « Variations, revue internationale de théorie critique » (voir sitographie). Il est l’auteur de Changer le monde sans prendre le pouvoir (Holloway 2007), coauteur de Néozapatisme echos et traces des révoltes indigènes (Holloway 2012), coauteur de Zapatista ! Rethinking Revolution in Mexico (Pluto Press, 1998) et de Global Capital, National State and the Politics of Money (1994).

DE L’ÉCOLE DE FRANCFORT À L’ÉCOLE DE PUEBLA

On peut rattacher Holloway au courant de la théorie critique liée à l’école de Francfort1. Il se situe dans cette lignée quand il étend le champ de la critique à des phénomènes non strictement économiques, et s’intéresse à la soumission psychologique à l’autorité ou à l’effet d’endoctrinement opéré par « la synthèse sociale ». La théorie critique conteste la possibilité d’un savoir axiologiquement neutre (wertfrei), ainsi que la dichotomie classique du sujet connaissant et de l’objet de connaissance, de la construction intellectuelle et de la donnée pure, de l’entendement actif et de la sensibilité passive. Ces thématiques sont aux fondements de la position critique d’H. face aux sciences sociales. Il explicite cela dans un article intitulé Le zapatisme, une critique révolutionnaire des sciences sociales (Holloway 2012). Il se situe aussi dans des thématiques liées au concept du travail abstrait qu’il reprend du « jeune » Marx. La théorie critique tente, à partir de la capacité auto-réflexive, d’élaborer un cadre conceptuel qui soit à même de rendre compte du processus social dans son ensemble. H. parle de synthèse sociale. La théorie critique s’intéresse à l’émancipation (de cette synthèse sociale), H. insiste sur les notions de passage du « pouvoir sur » au « pouvoir faire ».

Ses travaux et ceux de plusieurs universitaires de Puebla2, s’appuient sur l’apport de nouveaux mouvements sociaux3, des années 1990 à nos jours, en Amérique Latine (et surtout la révolte dansl’état du Chiapas4 dite « néo zapatiste ») mais aussi plus généralement du courant altermondialiste.

CHANGER LE MONDE SANS PRENDRE LE POUVOIR

Son livre Changer le monde sans prendre le pouvoir : le sens de la révolution aujourd’hui en 2002 (seulement 2007 en France , Holloway 2007) présente une analyse théorique du concept révolutionnaire basé sur l’expérience de « nouveaux mouvements sociaux »3. Les thématiques amenées par H. dans ce livre sont d’un grand intérêt en ce qui concerne la description et l’analyse des mécanismes de subordination liées à la thématique de la prise de pouvoir.

Ce livre a suscité une polémique d’une part chez ceux qui pensent que tout processus révolutionnaire est historiquement disqualifié depuis la chute du « socialisme réel », d’autre part chez ceux qui sont attachés à une conception révolutionnaire « classique » à savoir synthétiquement par la prise du pouvoir étatique.

En juin 2012, sort aux Editions Libertalia, un nouvel ouvrage de H. Crack capitalism, 33 thèses contre le capital (sorti en anglais en 2010, donc avant les printemps arabes et le phénomène des indignés, Occupy…). Si Crack capitalism, 33 thèses contre le capital est un ouvrage de théorie politique, ses conceptualisations sont illustrées par des exemples concrets, et la construction intellectuelle qui pourrait laisser envisager une quelconque pureté ou vérité du concept est sans cesse mise en question.

L’ABSTRACTION DU « FAIRE »

Dans cet ouvrage qu’il présente comme la « fille » de son ouvrage Changer le monde sans prendre le pouvoir, le sens de la révolution aujourd’hui, l’auteur présente le système5 actuel comme un ensemble historique dynamique, qui n’est pas simplement un système économique, mais une véritable synthèse sociale. Synthèse sociale pour lui est la négation de l’auto-détermination par l’abstraction du « faire » dans le travail « abstrait », un mode du « faire » capitaliste, nous enfermant dans l’abstraction, nous privant du pouvoir faire créatif. Dans cette synthèse, il existe néanmoins des« cracks » qui peut être traduit par « brèches ». Ces brèches sont nos refus mais aussi nos créations quotidiennes qui ne peuvent pas, ne veulent pas entrer dans la logique du système d’abstraction.

LACRISE C’EST NOUS

La crise de capitalisme est l’humanité indocile à se plier aux exigences du toujours plus, toujours plus vite (culture du chiffre, de l’argent de la quantité). Nous (l’humanité) serions la crise du capitalisme, la crise de ce système de domination. Nous créons ou tentons de créer en permanence un monde d’humanité, de dignité… qui est fondamentalement en opposition avec le caractère totalement pragmatique, de la fétichisation de la « valeur » dans la synthèse sociale actuelle…

Pour analyser notre indocilité, H. revient sur la conception marxiste de la dualité du travail : le travail concret et le travail abstrait. H. traite cette dualité comme fondamentale et potentiellement source de révolte et de changement radical de la société. Pour mettre en perspective cette problématique H. parle d’un « faire » qui est « dans, contre et au-delà » de la synthèse sociale.

DANS, CONTRE ET AU DELA !!!

Au fil des 33 thèses de ce livre, H. va tenter de démontrer et d’illustrer à partir d’un constat (la crise du système), d’un terrain (la vie des mouvements sociaux mais surtout et aussi les « petits » engagements quotidiens) la thèse suivant laquelle nous serions la crise du capitalisme. Il utilise la pensée radicale (c’est-à-dire qui cherche la racine du problème) qui pour lui est nécessairement « ad hominem » (en paraphrasant Marx « pour l’homme la racine est l’homme »). Sa logique part du particulier, de la dignité de chacun, plus précisément de l’altérité de la dignité contre un système qui n’est pas adapté à l’être humain6. Il s’agit d’une autre façon de vivre, une autre façon de faire par les brèches (le faire de ces dignités). C’est le mouvement des expériences (vivre, faire de manière créative) contre et au-delà de la synthèse sociale7. «Non, nous ne ferons pas ce que l’on nous dit de faire, nous ferons ce nous pensons être correct : nous ferons ce que nous pensons nécessaire, agréable ou approprié.» C’est par cette formule qu’il part d’un NON (d’un contre) que découle d’après lui une chaîne de OUI (au-delà). Chez lui le contre ne précède pas l’au-delà (théorie classique révolutionnaire) mais en est contemporain.

LA SOLDARTE COMMUNAUTAIRE

H. ne s’appesantit pas sur le constat de crise du système puisqu’il l’a déjà fait dans ses précédents ouvrages et que l’actualité depuis semblent aller dans ce sens avec les crises : financière, économique, écologique et sociale… Au-delà du constat de crise de système, le regard centré sur l’humain de H. retient aussi que la survie d’une grande partie des habitants de la planète (avec moins d’un dollar par jour) est redevable de la solidarité communautaire. Il affirme que, c’est ce « nous faisons » qui constitue, construit, fait l’humanité du monde. H. utilise ce qu’il appelle la dialectique négative de penser le monde par notre inadaptation et par les brèches (l’antipolitique de la dignité8) que crée notre faire où nous tentons de redevenir sujet. Comme le dit le mensuel CQFD (voir sitographie), H. « en pensant le monde à l’envers remet les idées à l’endroit ».

Il y a quelque chose de similaire au retournement du stigmate, « les victimes » devenant « rebelles », « le sentiment de souffrance » « capacité à se projeter vers un monde meilleur ». On pense à la fierté black, beur ou homo, H. cite certains mouvement de chômeurs, qui proclament leur fierté de ne pas participer au « travail abstrait », à une reproduction de la domination, mais incitent à la révolte du faire contre le travail (abstrait) (Manifeste des chômeurs heureux, voir sitographie).

NOUVELLE LUTTE : NOUVEAUX ESPACES ,NOUVELLE TEMPORALITE !

H. développe une théorie de l’action, d’un mouvement contre et au-delà, forcément expérimental et contradictoire. Ce qu’il propose c’est de reprendre la capacité de décider de notre faire. C’est une action interstitielle créant un espace et une temporalité différente : ici et maintenant nous construisons des zones de libertés pour l’instant éphémères mais intenses (vécues de manière intense).

Nous entrons donc avec lui dans un nouveau paradigme, « un nouveau langage pour une nouvelle lutte ». Langage qui chez H. prend source dans les Chiapas mais qui aujourd’hui sonne aussi comme celui des mouvements « indignés »9 qui reprennent et enrichissent ce lexique du penser autrement. Nouveau langage dont la musicalité peut nous sembler étrange tant nous sommes habitués à une certaine configuration, ici on « devine » une sensibilité nouvelle qui comprend une nouvelle façon d’agir avec de nouvelles attitudes. C’est de l’ordre du changement profond de paradigme, on pourrait dire du changement global, culturel. Le travail, l’argent, le temps, le genre, le langage, la nature, les masques sociaux, la loi… sont tous marqués par l’abstraction du « faire », par la clôture et la rigidité de relations humaines chosifiées (réifiées). Chacun de ces points nécessiteraient des développements complets impossible dans le cadre de cet ouvrage qui reste un manuel pour l’action10.

Les brèches s’affrontent à cette synthèse sociale qui les attire dans un système fermé de cohésion sociale de manière évidente avec l’État mais aussi par notre internalisation du système. C’est surtout par le système de la valeur (de ce qui se tient derrière l’État pour H.) qu’est la force réelle de la synthèse sociale. La manifestation extérieure de cette valeur étant la circulation de l’argent. Dans ce contexte quelles que soient les alternatives (économie sociale, solidaire, mutualisation…), c’est un défi constant d’utiliser l’argent sans être utilisé par lui.

La démarche de H. est actionaliste (au sens de centrer l’attention sur l’action et les relations sociales), c’est une praxéologie qui inclut une démarche de reconnaissance, de création, des perspectives pour l’extension et la multiplication de brèches dans la structure de la domination.

QUELLES PROPOSITIONS ?

Le principal apport de ce livre est sans doute d’offrir lui-même, une ouverture (une brèche) face à une immobilisation du débat sur la transformation sociale, sur des positions qui restent dans un cadre conventionnel. On peut résumer ce cadrage par des questions formulées ainsi : si de multiples actions portent des valeurs alternatives mais sont privées de portée générale, alors sont-elles suffisantes pour produire le changement ? Si les revendications restent individuelles ou au mieux communautaires alors se rejoignent-elles ? Finalement, face à l’annonce de la fin des idéologies par l’ordre actuel, serait-ce renoncer que de ne plus théoriser globalement le changement ? Comment dégager des solutions sans savoir vers quoi se diriger ? Par rapport à ces questionnements qui induisent des réponses maintes fois débattues, le positionnement original de H. fondé sur son approche préalable du « pouvoir sur » exercé dans la synthèse sociale est un renversement fécond de paradigme. Nous sommes la crise du système car celui-ci est absolument en contradiction avec le véritable « faire libre » de l’homme. Ne pas jaugez l’expérience humaine comme une marchandise (« il faut faire plus ! Mieux ! plus grands !… ») mais en percevoir la qualité, la créativité, la charge transformatrice, c’est une thématique essentielle pour l’action humaine dans le monde.

PAS DE SOLUTION UNIFIEE !

Fragile, nécessairement puisque expérimentation et pari, politique préfigurative, ce livre s’expose à plusieurs critiques.

Pour tous ceux qui trouveront excessif sa critique des formes classiques d’organisation (l’État, les partis, les syndicats…), il suffira de minimiser la crise actuelle et de souligner le peu d’alternative organisationnelle globale proposé par H. En effet si l’on ne considère pas que le changement de paradigme est forcément inédit, expérimental, voire contradictoire, on peut mettre en évidence que H. ne propose rien qui puisse être une solution unifiée.

Dans la cadre particulier de la France et de la Vème république, ce « nous faisons » auto-proclamé, auto-organisé peut paraître fort suspect. Les critiques habituelles concernant les formes auto-organisées, forcément infiltrées, manipulées (moins il y a de structures formelles plus il y a de leadership informel) ont forcément une part de vérité.  On peut aussi penser qu’en adoptant un point de vue aussi positif sur les initiatives locales on démobilise pour la lutte générale (« la lutte de classe ») ou à minima on « groupuscularise » le combat. On pourra noter qu’au fur et à mesure de ses publications, H. se sert de moins en moins du vocabulaire marxiste et s’expose de plus en plus sur le terrain complexe de l’action. On peut lui reconnaître ce courage et cette cohérence avec les idées qu’ils développent par ailleurs sur la désillusion : « la désillusion imprègne notre façon de penser, les catégories que nous utilisons, les théories que nous adoptons », « la fragmentation de l’interprétation du monde n’est autre qu’une réconciliation avec la désillusion », « tout concourt à ce que nous nous concentrions sur notre fragment spécialisé de la connaissance et délaissions la complexité du monde ».

Pour moi qui souscrit à la nécessité d’une transformation sociale radicale (à la racine de la problématique) et concrète, H. ouvre un champs d’expérimentation passionnant, dans le « nous faisons », dans l’Action Communautaire.

APPORT DES THEMATIQUES DE L’ « ABSTRACTION DU FAIRE » DANS LE « FAIRE CONCRET » DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE

Le débat autour de l’action communautaire, du « faire en commun » est souvent ramené à un débat sur la notion fétichisée de « communautarisme ». Il n’ y a pourtant rien de plus courant que la communauté qu’elle soit européenne ou de communes, qu’elle se crée dans une entreprise ou dans un quartier, qu’elle se fasse autour de la mode, de la culture ou de la religion… Le NOUS est toujours là, face au « moi je ». Et heureusement qu’il est encore là, car si une grande partie des habitants de la planète survit avec moins d’un dollar par jour ce n’est pas grâce à la sélective aide humanitaire mais en majeure partie par auto-organisation de forme de solidarité mutuelle.

Le second défaut de cette fétichisation du débat autour du communautarisme, c’est d’occulter la première partie de la proposition, il s’agit d’ « Action », d’un « faire ». Il s’agit d’acteurs (sujets) et d’un « NOUS FAISONS » entrant dans le flux social du « faire ».

EXPLORER DE NOUVELLE FORMES D’ORGANISATIONS

D’ailleurs je crois que le thème de l’« abstraction du faire » abordé dans ce livre, nous donne une clé de compréhension des difficultés d’un système à intégrer l’action commune qui ne peut vivre que par un faire vivant. La recherche d’un « NOUS FAISONS » cohésif et ouvert est essentiel . Il s’agit bien d ‘exploration et de création de formes d’organisation. Ce sont les mêmes questionnement autour d’une verticalité réduite et des tentatives de modes de décisions plus horizontale.

Des questionnement qui plus globalement interrogent le fonctionnement démocratique « Les discours sur la démocratie ont conduit à la formation d’un méta-discours de spécialistes, reconnus comme seule voix légitime sur le sujet » (Gomez Carpinteiro 2012)or la démocratie est avant tout une pratique . Des observations dans le champs des espaces promouvant la participation et l’horizontalité comme celles des Indignés , montre que toute conceptualisation des procédés fait reculer l’horizontalité.

La liaison que fait H. entre dignité (l’humain) et horizontalité (comment les humains s’organisent en respectant l’humain) est un élément central pour le fonctionnement de ces groupes. Sans l’approfondissement de la relation, des rapports d’amitié et de solidarité effectivement vécus, pas d’horizontalité possible. C’est l’élément qui est si difficile à quantifier mais observable dans les réseaux ou assemblées de base.

L’ALTERITE ! LES ALTERNATIVES !

Dans son approche optimiste des brèches, H. redonne du sens au « faire en commun » face au « faire abstrait », à la communauté humaine face à la synthèse sociale. Le sens de la communauté qui est perdu, disqualifié et que l’on peut tenter de refonder avec l’aide de l’altérité.

Que ces alternatives, surgissent parfois là où il y a exclusion du système, rejet hors de la synthèse sociale, dé-cohésion … chez ceux qui sont discriminés est compréhensible. La discrimination des SANS emploi, papier, logement… finalement des SANS argent (donc SANS valeur) touchant une part de plus en plus ample de la population, on observe maintenant des groupes solidaires plus amples qui refusent la violence économique, qui refusent l’abstraction de la valeur (celui qui a de l’argent peut vivre, celui qui n’en a pas non).

Que ce soit par les écrits de H. ou ceux de l’école de Puebla , il y a des liens fort avec les mouvements sociaux de base et avec l’action communautaire. Les travaux des chercheurs de l’université autonome de Puebla (Mexique) sont une mine d’information sur le « faire en commun », l’université travaillant en lien avec des communautés indigènes autonomes mais aussi avec le mouvement néo-zapatiste. L’approche de cette « nouvelle école » de sociologie, anthropologie remet profondément en question les dogmes du système actuel, c’est aussi une critique (que je considère salutaire) du fonctionnement de la recherche et des sciences sociales.

COMPRENDRE CES NOUVEAUX MOUVEMENTS SOCIAUX

La même démarche critique et praxéologique m’anime dans ma rencontre avec des activités porteuses d’altérité où un « faire ensemble » essaie de s’exprimer. Ce que je veux étudier c’est ce que l’anthropologue Francisco Javier Gomez Carpinteiro nomme « l’existence d’espace que le sujet, dans son mouvement d’auto-affirmation, ouvre à partir de son expérience historique ».

Les perspectives d’études sont nombreuses, si l’on décompose la formule de Carpinteiro, on peut en tirer une série de questionnement. Comment peut on observer ce qui est existence ? Sans objétiser des sujets ? Quid de la capacité d’auto-analyse des sujets ? Comment fonctionnent ces espaces dans leur différentes dimensions et leur relation avec le système global ? Sur quelle temporalité ? Comment ces espaces sont relationés entre eux ?

Participer est indispensable pour tenter une compréhension de ces phénomènes et on doit de toute façon laisser de la place à l’auto-interprétation des acteurs par eux-mêmes. La particularité étant que ces mouvements de transformation sociale ne sont pas « l’objet des sciences sociales » mais « le sujet des sciences sociales ».

« L’émergence du sujet… met à bas les catégorisations » affirme Gomez Carpinteiro. Repenser la transformation sociale, c’est «questionner en marchant», comme disent les Zapatistes. Les actions communautaires sont comme le dit Tischler « une histoire collective, multiforme et polyphonique », il faudrait donc croiser les approches. Mais cette « composition » complexe « en relation » ne doit pas faire oublier que ces espaces sont toujours expérimentales, créatifs et en processus (temporalité).

LA TEMPORALITE DE L’EMANCIPATION

Sergio Tischler précise au sujet de la temporalité d’émancipation : « l’autonomie est un processus de dépassement de la domination qui œuvre en produisant une temporalité d’émancipation, un mode d’organisation du temps radicalement différent de la temporalité abstraite et vide du capital et des institutions définies par la forme valeur « lorsque cette pense instrumentale s’effondre, la conception linéaire du temps s’effondre avec elle ». Cette temporalité il faut y « entrer » pour pouvoir la décrire, par exemple comme en témoignait un Indigné «on assiste pas a une assemblée on la vit », j’ai pu vérifier cela il est impossible de saisir la vie d’un squat de sans papier sans y passer quelques nuits.

Ces exigences « d’une temporalité vécue » ne doivent pas faire oublier un contexte de mondialisation, où ces phénomènes sont en lien avec des lieux parfois très éloignés (en lançant sur le net une question sur les indignés j’ai eu dans l’heure qui suivait des réponses argumentées de New York et de Madrid).

Gilles Deleuze et Félix Guattari théorisaient déjà la notion d’ « écho » et de « transversalité des luttes »(une notion que Guattari partage avec Foucault) .

Comme le mentionne Holloway : « tout concourt à ce que nous nous concentrions sur notre fragment spécialisé de la connaissance et délaissions la complexité du monde ». Mais dans ces nouveaux mouvements sociaux, terrain et réflexion sont totalement imbriqués. Vivre pleinement, joyeusement, avec liberté, cette expérience humaine du « faire en commun » est un puissant stimulant qui nous évitera peut être la réduction des attentes propre à une société désillusionnée.

Philippe BARIOL

BIBLIOGRAPHIE

Gomez Carpinteiro F. J., 2012, Neozapatisme Echos et traces des révoltes indigènes, Editions Syllepse

Holloway J., 2007, Changer le monde sans prendre le pouvoir, Editions Syllepse

Holloway J., 2012, article « Le zapatisme, une critique révolutionnaire des sciences sociales » dans « Néozapatisme echos et traces des révoltes indigènes » Editions Syllepse

Marcos, 1990, Déclaration à la La Jornada

Tischler S., 2012 , article « Temps et émancipation : Mikhail Bakthine et Walter Benjamin dans la jungle Lacandone » dans Néozapatisme echos et traces des révoltes indigènes, Editions Syllepse

SITOGRAPHIE

Variations, revue internationale de théorie critique http://variations.revues.org/

Interview Halloway par CQFD

http://editionslibertalia.com/Nous-sommes-la-crise-du.html

http://theoriecritique.free.fr/

Manifeste des chômeurs heureux http://www.cequilfautdetruire.org/spip.php?article402

1Les représentants de l’école de Francfort classiquement cités sont Max Horkheimer (1895-1973), Theodor W. Adorno (1903-1969), Erich Fromm (1900-1980), Walter Benjamin (1892-1940), Franz Neumann (1900-1954), Herbert Marcuse (1898-1979) puis Jürgen Habermas et enfin Axel Honneth (né en 1949). Bien que fort différents tous ces chercheurs ont participé plus ou moins de l’Institut de Recherche Sociale de Franfort, Holloway s’appuie beaucoup sur les premiers représentants de cette école plus que sur Habermas ou Honneth.

2On peut citer Sergio Tischler (sociologue et historien), Francisco Gomez Carpinteiro (anthropologue), Fernando Matamoros Ponce (sociologue), Antonio fuentes Diaz (sociologue)… avec qui John Holloway a écrit des ouvrages sur le néozapatisme.

3Les nouveaux mouvements sociaux (NMS) font traditionnellement référence aux nouvelles formes d’action politique apparues dans les années 1960-70, plus ou moins en rupture avec les formes traditionnelles comme les partis ou les syndicats. Le féminisme, l’environnementalisme et les mouvements appelés aujourd’hui LGBT sont considérés comme en faisant partie. Ici cela désigne plutôt des mouvements apparus dans les années 90 globalement dans la mouvance « altermondialiste ».

4Ndbp Etat du Chiapas « Grand comme deux fois et demi la Belgique et peuplé d’environ 3 millions d’habitants, dont plus d’un tiers d’indiens, le Chiapas est paradoxalement un état très riche. premier producteur de café, deuxième en matière d’élevage, troisième producteur de maïs, le Chiapas possède de surcroît les plus importants gisement de pétrole…Cet état …fournit au reste du pays 40% de toute son énergie hydroélectrique…Malgré son énorme richesse, le Chiapas connait des records de pauvreté extrême. La dénutrition touche la moitié de la population, le tiers des enfants n’est toujours pas scolarisé…. » Ignacio Ramonet Directeur du Monde Diplomatique, préface du livre de Carlos Montemayor « la rébellion indigène du Mexique Violence, autonomie et humanisme » édition syllepse 2001.

5J’emploie ici le mot « système » comme le font les NMS « indigné » , c’est à dire dans le sens global. L’expression système capitaliste pourrait être un équivalent mais à l’inconvénient d’orienter notre regard vers le système économique et met un peu de coté l’aspect de domination globale du système.

6Un indigné stéphanois en 2011 me déclarait malicieusement : « Ce système est parfait à part une chose, il n’est pas adapté à l’être humain ».

7Il emprunte la notion de synthèse sociale à A. Sohn-Rethel (1978), philosophe proche de l’école de Francfort.

8Comme le dise parfois les indignés « ce n’est pas nous qui sommes anti-systeme c’est le systeme qui est anti-nous »

915M , Occupy , OWS, Indignados, yo soy 132…

10Les auteurs cités sur ces thématiques peu développés sont autant d’invitations à explorer ces questions: Postone pour le travail abstrait, Holloway pour les aspects d’identification, de rôles sociaux, Federici ou le Krisis Gruppe pour le genre, Foster s’appuyant de manière surprenante sur un Marx écologiste, Pasukanis au sujet de la loi… Au sujet de la temporalité, les références sont multiples :Thompson, Debord, et de l’université de Puebla Tischler.